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Page:Barbey d’Aurevilly - Lettres à Trébutien, I, 1908.djvu/38

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Blois, 25 août 1835.


Mon cher Baron,

Quand vous lirez la date de ma lettre, vous vous écrirez, j’en suis sûr : ô ter quaterque beatus ! Vous sentirez s’éveiller en vous les nobles convoitises de l’antiquaire. Si je l’étais le moins du monde, Dieu m’est témoin que je ne vous écrirais pas. Confier son bonheur me semble la plus haute impertinence qu’il y ait. C’est parce que ma tête d’ostrogoth du boulevard de Gand est demeurée parfaitement froide et ennuyée devant les tas de pierres historiques vus et admirés en baillant, que je peux vous parler de mon voyage sur les bords de la Loire.

N’en aura-t-on jamais fini avec les lieux communs ? La réputation de ce pays est un impudent mensonge accepté sur parole par des niais. Et cela va ainsi de siècle en siècle jusqu’à la fin du monde ! Hélas ! c’était beaucoup plus pour le pays que pour les souvenirs, comme vous dites, vous autres, que j’étais parti de Paris, mais Dieu me damne ! j’aurais presque mieux fait d’y rester.

J’ai vu Orléans, sa cathédrale et son musée, Notre-Dame de Cléry, dont l’austère nudité m’a semblé préférable à toutes ces enjolivures qui s’appellent de l’Art pour le moment, et puis Chambord, mais j’étais souffrant, et j’ai eu la sacrilège indolence de ne pas monter un degré de ses escaliers. — C’est de Chambord que je suis le plus content jusqu’ici, car j’ai vu là la seule jolie fille entr’aperçue depuis Paris. Et puis qu’on me vante un pays pareil ! Que nos écrivassiers de roman nous crachent leurs belles phrases sur tout cela !

Aujourd’hui je suis à Blois, une odieuse ville et d’une population plus laide encore. Je sors du château, que j’ai