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Page:Barbey d’Aurevilly - Lettres à Trébutien, I, 1908.djvu/40

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Caen, 9 janvier 1837.


Mon cher Baron,

Je ne vous ai point encore écrit, mais dans mes lettres à mes amis qui sont les vôtres votre souvenir brille comme dans toutes mes pensées, pur et radieux. J’ai vu votre mère, il y a deux jours. Elle va bien et doit me charger d’un paquet pour vous à la fin de cette semaine, époque immuable de mon départ.

Je vous reviens donc après trois longs mois d’absence, employés à rôder dans deux départements ; je vous reviens renouvelé de santé et de force, et retrempé dans la vie de famille que j’ai trouvée meilleure que je n’aurais cru, et pas assez longue du reste pour ajouter un ennui de plus à ma somme ordinaire d’ennuis. J’ai pris justement ce qu’il m’en fallait, mais de manière à esquiver le blasé, cette diable de chose à laquelle j’arrive si vite avec la tournure de mon esprit. Je n’ai pas chassé, mais j’ai joué, mangé, bu, fumé, comme tout ce qu’il y a de plus illustre en Normandie, et me serais assuré bien des votes si j’avais l’âge, aux prochaines élections, pour être nommé député. J’ai fait l’Alcibiade avec une souplesse qui vous eût surpris, mon cher Baron, et qui me servira quelque jour si Satan me change en diplomate. J’ai coqueté avec des femmes de province dignes d’être anglaises pour la bégueulerie, et débité des moralités hypocrites à leurs grand’mères. J’ai stoïquement suivi la règle catholique, allant à la messe tous les dimanches et mangeant m.aigre les vendredis. Enfin j’ai disparu, comme Romulus, dans la tempête… d’un véritable succès.

J’ai vu beaucoup de nouveaux ménages (locution du pays,