Page:Barbey d’Aurevilly - Une histoire sans nom, 1882.djvu/23

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de l’eau, luisaient dans ses sandales comme des pieds de marbre ou d’ivoire, sculptés par Phidias. Il salua très noblement ces dames, à l’orientale, les bras croisés sur sa poitrine, et pour personne, même pour Voltaire, il n’aurait mérité ce nom méprisant de « frocard » qu’on donnait alors aux gens de sa robe. Quoique les boutons rouges du cardinalat ne dussent jamais étoiler son froc, il semblait fait pour les porter. Ces dames qui ne connaissaient de lui que sa voix de prédicateur, tombant de la chaire dans cette église où pleuvaient les ténèbres du soir, trouvèrent, quand elles le virent, que sa personne faisait bien un avec sa voix. Comme on était en Carême et que cet homme de pauvreté et d’abstinence allait le représenter plus particulièrement, puisqu’il allait le prêcher, on lui offrit la collation obligée du Carême, composée de haricots à l’huile, de salade de céleri et de betteraves, mêlée à des anchois, à du thon et à des huîtres marinées en baril. Il y fit honneur, mais il repoussa le vin qu’on lui présenta, quoique ce fût du vin catholique, un vieux château du Pape. Il parut à ces dames