Page:Barbier - Satires et Chants, 1869.djvu/205

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ui bave, De mauvais traitements affliger ton esclave. Le bonhomme en fureur de tant de dureté Peut relever le front, et d’un doigt irrité, Sur un bout de vélin, par trois mots d’écriture, Punir votre abandon et venger son injure. Jusqu’à ce que la mort sur son lit l’ait cloué, Songes-y bien, par lui tu peux être joué ! Donc, il faut redoubler de soin, de prévenance, Ne prendre devant lui qu’une humble contenance Et jamais d’un mot dur lui faire apercevoir Que vous êtes certains de palper son avoir. J’ai connu bien des gens qui pour fautes pareilles Ont perdu l’heureux fruit de vingt-cinq ans de veilles Et qui, pour avoir trop tourmenté l’hameçon, Ont vu se décrocher et s’enfuir le poisson.

Que leur exemple serve à ton expérience ! Enfin arrivera le jour de délivrance, Le jour où le trépas te fera l’agrément De coucher l’ennuyeux vieillard au monument. Alors, ami Bertrand, vive, vive la joie ! Comme un requin goulu qui voit venir sa proie, Dans ton sein haletant tu sentiras ton cœur De volupté bondir ; en effet, quel bonheur ! Quel transport que le tien ! Quand le grave notaire, Lisant le testament d’une voix nette et claire, Au nez des héritiers lancera ce brandon : Je lègue tous mes biens immobiliers ou non À mon ami Bertrand… une ivresse divine D’une chaude sueur baignera ta poitrine, Et peut-être iras-tu t’évanouir aux bras Du notaire étonné : pourtant ne le fais pas. En acteur consommé jusqu’au bout suis ton rôle, Maîtrise tes transports, courbe-toi comme un saule, Et, tirant de ta poche un mouchoir, sur tes yeux Tiens-le ferme en poussant des soupirs douloureux,