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Page:Barbier - Satires et Chants, 1869.djvu/217

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Les ducs et les prélats et tous nos batailleurs :
Ils pratiquent la vie en habiles jongleurs ;
Grâce à leur rang, leur glaive et leurs fausses paroles,
Elle est pleine d’aisance et de voluptés molles :
Et pourquoi n’en ferais-je autant de mon côté
Avec l’outil qu’aux mains le destin m’a planté ?

Je ne suis ni guerrier, ni prêtre, ni de race
Princière, mais je suis homme d’esprit, d’audace,
Et cela me suffit : ma plume et mon cornet
Sont de force à m’emplir la panse et le gousset.
Guttemberg ne sut pas, en créant sa machine,
Tout ce qui s’y trouvait de puissance divine.
Moi seul l’ai bien compris : un chiffon de papier
Me fait, quand je le veux, maître du monde entier.

Avec ce talisman, vrai talisman de fée,
J’ai l’existence large, éclatante, étoffée,
Un palais magnifique au bord du grand canal,
Une table égalant celle d’un cardinal,
Des meubles, des habits d’une élégance exquise
Et pour amour les corps les plus beaux de Venise,
Non pas deux, non pas trois, mais trente ; puis je vois
Se courber à mes pieds les envoyés des rois,
Et, pour que rien ne manque à mon désir avide,
Le dieu de la couleur, Titien le splendide,
Fait de ses nobles doigts en ce jour enchanté
Passer ma face auguste à la postérité.

Titien.
C’est faiblesse qu’un jour à mon talent peut-être
On pourra reprocher.

Arétin.
                     Faiblesse, non, cher maître,
Dites du savoir-vivre et de l’habileté.
Au fait, voyons la chose avec sa