Page:Barbier - Satires et Chants, 1869.djvu/218

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nudité.
Pour moi vous n’avez pas abondance d’estime,
Un grand fonds d’intérêt, mais vous craignez ma rime
Et tout doucettement vous me faites la cour,
Pour que sur vos tableaux mon esprit, en retour,
Fixe l’attention des puissances du monde.
Sans doute la science est chez vous très-profonde,
Votre génie est beau ; mais on le saurait moins
Si de ma verte muse il n’occupait les soins,
Et si ma plume ainsi qu’une trompe sonore
À tous les connaisseurs, du couchant à l’aurore,
Ne le proclamait tel, c’est là du jugement.
Mais moi, je montre aussi quelque discernement
En sachant vous frapper l’âme d’un peu de crainte ;
Car si j’étais pour vous une cervelle empreinte
Des fadeurs du Parnasse, un rimeur doucereux,
Point n’aurais-je espéré que le pinceau fameux,
Qui vêt de pourpre et d’or les princes de la terre,
Voulût bien retracer les traits d’un pauvre hère.

Titien.
Ce que vous dites là n’est point sans vérité,
Et vous touchez mon faible, ami, la vanité.

Oui, dans cette carrière aux chances incertaines
Où je cours, j’aime mieux votre amour que vos haines.
Ce n’est pas qu’à part moi je ne sois convaincu
De ma force et certain qu’au vrai beau revenu
Le monde en l’avenir ne me rende justice ;
Mais je ne me sens pas né pour le sacrifice,
Ni fait, sauf à m’en voir récompensé plus tard,
Pour contenter mon cœur du seul travail de l’art.

Je veux être applaudi d’une façon notoire
Moi vivant, et tirer gros profit de ma gloire.
Point ne faut, à ce compte, être en hostilité
Avec un Apollon aussi plein d’âpreté
Que le vôtre... on sait trop que dans les faits s