Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/131

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c’était le soir de cette grande malédiction que je n’oublierai jamais, et que tu as criée d’un coup, comme si tu en avais beaucoup sur le cœur à propos de fleurs coupées.

« Comme tu avais raison de te sentir vaincu par le temps, de t’humilier, de dire que nous n’étions rien, puisque tout passe et qu’on arrive à tout. »

Le crépuscule envahissait la chambre et courbait comme un grand vent ce pauvre groupe occupé à regarder les causes de la souffrance, à fouiller la misère pour savoir de quoi elle était faite.

— L’espace, qui est toujours, toujours entre nous ; le temps, le temps qui est attaché en nous comme une maladie… Le temps est plus cruel que l’espace. L’espace a quelque chose de mort, le temps a quelque chose de tuant. Tous les silences, vois-tu, tous les tombeaux, ont dans le temps leur tombeau… Les deux choses si invisibles et si réelles qui se croisent sur nous au point précis où nous sommes ! Nous sommes crucifiés ; pas comme le bon Dieu qui l’a été charnellement sur une croix ; mais (elle serrait ses bras contre son corps, elle se recroquevillait, elle était toute petite), nous sommes crucifiés sur le temps et l’espace.

Et elle m’apparaissait en effet crucifiée dans les deux sens de sa prière et portant au cœur les stigmates saignants du grand supplice de vivre.

Elle était épanouie de toute sa force. Elle ressemblait à tous ceux que j’avais vus à la place