Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/46

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vérité, et qu’on ne puisse pas, malgré sa sincérité, être sincère ? On n’a pas évoqué une chose quand on l’a appelée par son nom. Les mots, les mots, on a beau les connaître depuis son enfance, on ne sait pas ce que c’est.

Mon frisson, ma mélancolie, ma détresse sont perdus. Je suis condamné à être oublié. On passera devant moi sans me regarder ou sans me voir. On ne se souciera pas de ce que je puis renfermer. Je ne peux être sur la terre qu’un croyant.

Je restai plusieurs jours sans rien voir. Ces jours furent torrides. Au commencement, le ciel avait été gris et pluvieux ; maintenant, septembre flamboyait en finissant. Vendredi… Eh quoi, il y avait déjà une semaine que j’étais dans cette maison !…

Un après-déjeuner lourd, assis sur une chaise, je me plongeai, mi-rêvant, dans une impression de conte de fées.

… L’orée d’une forêt ; dans le sous-bois, sur le tapis d’émeraude sombre, des ronds de soleil ; là-bas, au bout de la plaine, une colline, et par-dessus les feuillages moutonnants, jaunes et vert noir, un pan de mur et une tourelle, quadrillés, comme en tapisserie… Un page s’avançait, vêtu comme un oiseau. Un bourdonnement de mouches. C’était le bruit lointain de la chasse du Roi. Il allait arriver des choses extraordinairement douces.