Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/9

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je considère de près mes yeux qui sont verts, et qu’on dit généralement noirs, par une aberration inexplicable.

Je crois confusément à beaucoup de choses ; par dessus tout, à l’existence de Dieu, sinon aux dogmes de la religion ; celle-ci présente cependant des avantages pour les humbles et les femmes, qui ont un cerveau moindre que celui des hommes.

Quant aux discussions philosophiques, je pense qu’elles sont absolument vaines. On ne peut rien contrôler, rien vérifier. La vérité, qu’est-ce que cela veut dire ?

J’ai le sens du bien et du mal ; je ne commettrais pas d’indélicatesse, même certain de l’impunité. Je ne saurais non plus admettre la moindre exagération en quoi que ce soit.

Si chacun était comme moi, tout irait bien.

Il est déjà tard. Je ne ferai plus rien aujourd’hui. Je reste assis là, dans le jour perdu, vis-à-vis d’un coin de la glace. J’aperçois, dans le décor que la pénombre commence à envahir, le modelé de mon front, l’ovale de mon visage et, sous ma paupière clignante, mon regard par lequel j’entre en moi comme dans un tombeau.

La fatigue, le temps morne (j’entends de la pluie dans le soir), l’ombre qui augmente ma solitude et m’agrandit malgré tous mes efforts et puis quelque chose d’autre, je ne sais quoi, m’attristent.