Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/93

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

insondable comme toutes les voix maintenues très basses ; d’une tristesse de musique…

Sans doute, j’avais encore devant moi deux amoureux, réfugiés pour quelques instants dans la chambre inhabitée. Deux créatures étaient là, attirées l’une par l’autre, dans la solitude compacte, dans l’abîme sans couleur ; et impuissant à les distinguer, je les sentais s’émouvoir, comme mon cœur dans ma poitrine.

Je cherchai le couple perdu. Toute mon attention tâtonnait vers ces deux corps. En vain. La nuit entrait dans mes yeux et m’aveuglait ; plus je regardais, plus l’ombre me faisait mal. À un moment, pourtant, je crus apercevoir une forme se dessiner, très sombre, sur la fenêtre sombre… Elle s’arrêta… Non… la nuit ; les ténèbres immobiles comme une idole… Qu’étaient-ils, ces vivants, que faisaient-ils, où étaient-ils, où étaient-ils ?

Et tout d’un coup, j’entendis sortir de l’amas de ténèbres un mot distinct, qui avait forme humaine : le mot : « Encore ! »

« Encore ! » ce cri venait de leur chair. Il me les montrait enfin. Il me parut que leurs figures, hors de la brume, se dénudaient.

Puis, au milieu des balbutiements pressés, d’une sorte de combat, une autre parole jaillit, jetée à voix étouffée et heureuse :

— S’ils savaient ! Si on savait !