Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/130

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m’dit. On a causé. L’lendemain, i’ s’était fait coller ordonnance, pour couper à un départ, vu qu’c’était son tour de partir depuis l’commencement d’la guerre.

» Sur le pas de la porte où il s’était pognoté toute la nuit dans un plumard, i’ cirait les godasses de son ouistiti : des palaces pompes jaunes. I’ leur z’y collait d’l’encaustique, i’ les dorait, mon vieux. J’m’ai arrêté pour voir ça. Le gars m’a raconté son histoire. Mon vieux, j’me rappelle plus besef de c’bourrage de crâne arabe, pas plus que j’me rappelle de l’Histoire de France et des dates qu’on chantait à l’école. Jamais, mon vieux, i’ n’avait été envoyé sur le front, quoique de la classe 3 et un costaud bougre, tu sais. L’danger, la fatigue, la mocherie de la guerre, c’était pas pour lui, pour les autres, oui. I’ savait que si i’ mettait l’pied sur la ligne de feu, la ligne prendrait toute la bête, aussi i’ coulait de toutes les pattes pour rester sur place. On avait essayé de tous les moyens pour le posséder, mais c’était pas vrai, il avait glissé des pinces de tous les capitaines, de tous les colonels, de tous les majors, qui s’étaient pourtant bougrement foutus en colère contre lui. I’ m’racontait ça. Comment qu’i’ f’sait ? I’ s’laissait tomber assis. I’ prenait un air con. I’ faisait l’saucisson. I’ d’venait comme un paquet de linge sale. « J’ai comme une espèce de fatigue générale », qu’i’ chialait. On savait pas comment l’prendre et, au bout d’un temps, on le laissait tomber, i’ s’faisait vomir par tout un chacun. V’là. I’ changeait sa manière aussi suivant les circonstances, tu saisis ? Qué’qu’fois, l’pied y faisait mal, dont i’ savait salement bien s’servir. Et pis, i’ s’arrangeait, l’était au courant des binaises, savait toutes les occases. Tu parles d’un mecton qui connaissait les heures des trains ! Tu l’voyais s’rentrer en s’glissant en douce dans un groupe du dépôt où c’était l’filon, et y rester, toujours en douce poil poil, et même, i’ s’donnait beaucoup d’mal pour que les copains ayent besoin de lui. I’ s’levait à des trois heures du matin pour faire le jus, allait cher-