Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/155

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Cha est bon, deslo qu’est dans t’tubin… I’ s’ennuie, i’ souffre. Un d’ch’matin, on l’r’trouvera, ilo, crévé.

Labri n’est pas heureux. Le soldat à qui il est confié est dur pour lui et le malmène volontiers, et, par ailleurs, ne s’en préoccupe guère. L’animal est attaché toute la journée. Il a froid, il est mal, il est abandonné. Il ne vit pas sa vie. Il a, de temps en temps, des espoirs de sortie en voyant qu’on s’agite autour de lui, il se lève en s’étirant et ébauche un frétillement de queue. Mais c’est une illusion, et il se recouche, en regardant exprès à côté de sa gamelle presque pleine.

Il s’ennuie, il se dégoûte de l’existence. Même s’il évite la balle ou l’éclat auquel il est tout aussi exposé que nous, il finira par mourir ici.

Fouillade étend sa maigre main sur la tête du chien ; celui-ci le dévisage à nouveau. Leurs deux regards sont pareils, avec cette différence que l’un vient d’en haut et l’autre d’en bas.


Fouillade s’est assis tout de même – tant pis ! – dans un coin, les mains protégées par les plis de sa capote, ses longues jambes refermées comme un lit pliant.

Il songe, les yeux clos sous ses paupières bleutées. Il revoit. C’est un de ces moments où le pays dont on est séparé prend, dans le lointain, des douceurs de créature. L’Hérault parfumé et coloré, les rues de Cette. Il voit si bien, de si près, qu’il entend le bruit des péniches du canal du Midi et des déchargements des docks, et que ces bruits familiers l’appellent distinctement.

En haut du chemin qui sent le thym et l’immortelle si fort que cette odeur vient dans la bouche et est presque un goût, au milieu du soleil, dans une bonne brise toute parfumée et chauffée, qui n’est que le coup d’aile des rayons, sur le mont Saint-Clair, fleurit et verdoie la baraquette des siens. De là, on voit en même temps, se rejoignant, l’étang de Thau, qui est vert bouteille, et la mer Méditerranée, qui est bleu ciel, et on aperçoit aussi quel-