Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/237

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du machin, ou clabottent asphyxiés sans avoir le temps de souffler ouf.

— On voit aussi très bien l’obus de 270 – tu parles d’un bout de fer – quand le mortier le fait sauter en l’air : allez, partez !

— Et aussi le 155 Rimailho, mais celui-là, on le perd de vue parce qu’il file droit et trop loin : tant plus tu le r’gardes, tant plus i’ s’fond devant tes lotos.


Dans une odeur de soufre, de poudre noire, d’étoffes brûlées, de terre calcinée, qui rôde en nappes sur la campagne, toute la ménagerie donne, déchaînée. Meuglements, rugissements, grondements farouches et étranges, miaulements de chat qui vous déchirent férocement les oreilles et vous fouillent le ventre, ou bien le long hululement pénétrant qu’exhale la sirène d’un bateau en détresse sur la mer. Parfois même des espèces d’exclamations se croisent dans les airs, auxquelles des changements bizarres de ton communiquent comme un accent humain. La campagne, par places, se lève et retombe ; elle figure devant nous, d’un bout de l’horizon à l’autre, une extraordinaire tempête de choses.

Et les très grosses pièces, au loin, au loin, propagent des grondements très effacés et étouffés, mais dont on sent la force au déplacement de l’air qu’ils vous tapent dans l’oreille.

… Voici fuser et se balancer sur la zone bombardée un lourd paquet d’ouate verte qui se délaie en tous sens. Cette touche de couleur nettement disparate dans le tableau attire l’attention, et toutes nos faces de prisonniers encagés se tournent vers le hideux éclatement.

— C’est des gaz asphyxiants, probable. Préparons nos sacs à figure !

— Les cochons !

— Ça, c’est vraiment des moyens déloyaux, dit Farfadet.

— Des quoi ? dit Barque, goguenard.