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Page:Barckhausen - Montesquieu, l’Esprit des lois et les archives de La Brède, 1904.djvu/97

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Or, ceux qui furent les auteurs des loix que le Peuple fit là-dessus, proposant une loi pour la punition d’un certain crime, et un magistrat particulier pour poursuivre, englobèrent dans la même loi tous les crimes qui pouvoient avoir du rapport à celui qui étoit l’objet de la loi. Ainsi Sylla, faisant la Loi de majesté, mit-il au nombre des criminels de lèse-majesté les magistrats qui ne feroient pas l’exercice de leur charge ou n’en défendroient pas les prérogatives. Cela fit une étrange confusion de crimes et de peines et embrouilla extrêmement, à cet égard, la jurisprudence. L’injustice même s’aggrava. Car, quand on augmenta les peines du crime de lèse-majesté, quand on fit, sur ce crime, une instruction plus rigoureuse, cela put tomber sur le crime accessoire comme sur le crime principal : jurisprudence triste, qui, pouvant favoriser sans cesse la tyrannie, mettoit le plus grand obstacle à la liberté[1].

A Rome, l’établissement de la puissance tribunitienne fonda le crime de lèse-majesté, que l’on vit depuis. La Loi vouloit que quiconque offenseroit un tribun par ses actions ou par ses paroles fût puni de mort[2]. On vouloit augmenter le respect à proportion de la foiblesse de cette magistrature, et comme, dans la suite, elle se soutint par ses propres forces, cette loi, à l’égard des paroles, cessa d’être en usage. Auguste la rétablit. « Avant lui, dit Tacite[3], on punissoit les faits, et les paroles étoient impunies. » Tibère, au crime de lèse-majesté, ajouta le crime d’impiété. On avoit accordé à Auguste les honneurs divins ; cela donna l’idée d’un crime contre les Empereurs appelé d’impiété. Tibère commença par faire punir ceux qui parloient mal d’Auguste, et, comine il n’y avoit que ceux qui étoient mécontens du gouvernement présent qui désapprouvoient celui qui avoit précédé, il se défaisoit de ses ennemis. Bientôt, on tira cette conséquence qu’il y avoit aussi de l’impiété dans les paroles

  1. La première partie du chapitre est de la main de Montesquieu ; la seconde, de la main d’un secrétaire.
  2. Une note épinglée en marge porte : « Examiner si les paroles étoient comprises. »
  3. En marge : « Annal., liv. 1 ; Facta arguebantur, dicta impune erant. »