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Page:Barillon-Bauché - Augusta Holmès et la femme compositeur, 1912.pdf/60

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IMPERFECTIBILITÉ DE LA FEMME. — ANTOINE RUBINSTEIN

vingt années écoulées, demeure nette et précise. Parmi des musiciens qui, bien plus âgés que moi en ce temps reculé, entendirent Rubinstein, j’ai retrouvé des impressions, des appréciations en tous points conformes aux miennes ; aussi avec une sorte de mélancolie un peu indignée, pressens-je parfois l’intention d’amoindrir ce magnifique artiste, – même comme interprète, — par des comparaisons, que certains partisans, ou courtisans, de nos glorieux virtuoses actuels veulent toutes en faveur de leur idole[1] !

Chez Rubinstein le traducteur l’emportait sur le compositeur, mais ce dernier, — qui servait merveilleusement l’interprète, — possédait un véritable tempérament de créateur : parfois un lyrisme superbe, parfois des trouvailles délicieuses, en général la franchise dans l’allure et la simplicité expressive et sincère dans la mélodie qui se retrouvent avec tous les maîtres. Malheureusement, comme les femmes, et c’est ce point de ressemblance qui me le fait évoquer ici, il éparpilla ses dons, trop généreux, trop grand seigneur peut-être pour en tirer soigneusement parti. À des admirateurs clamant ses louanges au sujet de ses concerts, il répondait un jour : « avec les notes que j’ai laissées un autre pianiste donnerait un concert. » On pourrait conti-

  1. À personne je n’ai entendu réaliser aussi superbement et grandement l’interprétation du concerto en mi bémol de Beethoven, les variations symphoniques du Schumann, la sonate en si bémol mineur de Chopin ; personne ne jouait avec une poésie aussi profonde un Nocturne, une Mazurka de Chopin, ou avec son adorable simplicité un naïf caprice de Haydn ; on se serait agenouillé