Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/54

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de page. « Le romantique se déhugotise tout à fait », écrivait son père, le 19 septembre 1830, à son ami Cairol. Il n’était plus besoin d’indiscrétions pour s’en douter. La Revue de Paris avait publié en juillet le manifeste littéraire intitulé les Secrètes Pensées de Rafaël, que le Cénacle prit pour un désaveu, et qui n’était qu’une déclaration d’indépendance. A présent qu’on le lit de sang-froid, on a peine à comprendre qu’on ait pu s’y tromper.

    Salut, jeunes champions d’une cause un peu vieille,
    Classiques bien rasés, à la face vermeille,
    Romantiques barbus, aux visages blêmis !
    Vous qui des Grecs défunts balayez le rivage,
    Ou d’un poignard sanglant fouillez le moyen-âge,
    Salut ! —J’ai combattu dans vos camps ennemis.
    Par cent coups meurtriers devenu respectable,
    Vétéran, je m’assois sur mon tambour crevé.
    Racine, rencontrant Shakespeare sur ma table,
    S’endort près de Boileau. . . . . . . . . .

On s’y trompa pourtant, et les relations de Musset avec le groupe de Victor Hugo se refroidirent. Il est juste d’ajouter que Musset laissait percer un dessein arrêté de marcher à l’avenir sans lisières. Le mot d’école poétique lui paraissait maintenant vide de sens. « Nous discutons beaucoup, écrivait-il à son frère ; je trouve même qu’on perd trop de temps à raisonner et épiloguer. J’ai rencontré Eugène Delacroix, un soir en rentrant du spectacle ; nous avons causé peinture, en pleine rue, de sa porte à la mienne et de ma porte à la sienne, jusqu’à deux heures du matin ; nous ne pouvions pas nous séparer. Avec le bon Antony Deschamps, sur le boulevard,