Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/81

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is voir un front rembruni, sans jamais entendre une parole amère. Ton souvenir, c’est une relique sacrée ; ton nom est une parole solennelle que je prononce le soir dans le silence de la lagune…. » (2 juin.)

Pagello à Musset (15 juin) : « Cher Alfred, nous ne nous sommes pas encore écrit, peut-être parce que ni l’un ni l’autre ne voulait commencer. Mais cela n’ôte rien à cette affection mutuelle qui nous liera toujours de nœuds sublimes, et incompréhensibles aux autres…[1]. »

Des cris d’amour furent la réponse aux aveux voilés de l’infidèle. Dès le 10 mai, Musset lui écrit qu’il est perdu, que tout s’écroule autour de lui, qu’il passe des heures à pleurer, à baiser son portrait, à adresser à son fantôme des discours insensés. Paris lui semble une solitude affreuse ; il veut le quitter et fuir jusqu’en Orient. Il s’accuse de nouveau de l’avoir méconnue, mal aimée ; de nouveau il se traîne lui-même dans la boue et dresse un autel à la créature céleste, au grand génie, qui ont été son bien et qu’il a perdus par sa faute. C’est le moment où son âme enfiévrée s’ouvre à l’intelligence de Rousseau : « Je lis Werther et la Nouvelle Héloïse. Je dévore toutes ces folies sublimes, dont je me suis tant moqué. J’irai peut-être trop loin dans ce sens-là, comme dans l’autre. Qu’est-ce que ça me fait ? J’irai toujours[2]. » Il a un besoin impérieux et terrible de

  1. L’original est en italien.
  2. Cité par Sainte-Beuve, Causeries du Lundi, XIII, 373.