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STUREL RENCONTRE MADAME DE NELLES

était attaché aux Affaires étrangères. Il a su se glisser sur la liste conservatrice, qui a réussi grâce aux voix ouvrières anti-opportunistes. Il siège à droite et voudrait par Boulanger retrouver cet appoint républicain dont il ne peut se passer. Ce serait une faute irrémédiable si le Général nous embarquait avec ces gens-là qui le trahiront de toutes façons. Regardez leurs figures de coquins.

Sturel, dans cette minute, vit cette réunion autrement mesquine qu’il ne l’avait jugée d’abord. Toutes ces physionomies tournées vers Boulanger lui parurent annoncer la curiosité plutôt que la foi dans le relèvement du pays. Quelques-unes avaient bien de la finesse et même, un petit nombre, de la force, mais le vernis mondain passé sur elles toutes abusait et repoussait le jeune homme, habitué au caractère intense et simple des héros dans les musées italiens et des boulangistes dans les réunions où le sentiment national les animait d’une si fière noblesse. Il méconnaissait les signes de la passion chez ces hommes en frac. Lui qui, un instant auparavant, avait l’âme d’un saint-cyrien à la fête du « Triomphe », et tenait tous ces invités pour des compagnons de lutte, maintenant il se séparait d’eux, et il aurait voulu le Général austère et logé dans quelque quartier populaire, au cinquième étage du général Foy.

— Que vient faire Boulanger ici ?

— Chercher de l’argent, jeune homme, — lui répondit le bonapartiste, tout paternel pour cet enfant qui ignorait probablement ce que coûte l’amour des foules.

— Pourquoi ces coquins lui en donneraient-ils ?

— Pour le lui reprocher plus tard… Savez-vous