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L’APPEL AU SOLDAT

midi. Maintenant on se taisait dans le grand salon, d’un mobilier à la fois fané et solennel, où des toiles heureusement foncées par l’âge représentaient des jeunes femmes et des militaires de la famille. La vieille dame, son ouvrage et ses lunettes sur ses genoux, repassait en esprit avec une grande paix tout ce qu’elle avait vu durant sa longue vie ; elle ne doutait point qu’avec l’âge son petit-fils et Sturel ne jugeassent tout exactement comme elle faisait. Son visage d’un teint clair, d’un dessin ferme, était infiniment agréable à regarder, parce qu’on n’y trouvait aucune bassesse et pas même une trace des passions. Ses paroles très simples, d’une bonne langue, où se marquait une grande idée de son âge et de son chez soi, éveillaient en Sturel des délicatesses et un sérieux nouveau. Ce jeune homme aventureux prit soudain conscience de sa responsabilité. Les sentiments que dans cette calme hospitalité on lui présentait, sans indiscrétion de prosélytisme et avec une dignité bien faite pour séduire une nature poétique, formaient un tout organique : l’un admis, il fallait s’accommoder du reste, à cause de leur enchaînement, aussi nécessaire que celui des diverses parties d’un animal. Ainsi Sturel subissait déjà cette influence, prévue par Saint-Phlin, d’une terre où des âmes de même qualité se sont additionnées. On peut seulement craindre que cette culture de la conscience, ce noble souci de sa dignité ne donnent à un être une trop haute idée de sa personne morale, et par là une vision de soi-même disproportionnée avec sa place dans le monde.

Le boulangiste Sturel se fût passé à regret des jour-