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LA VALLÉE DE LA MOSELLE

patrie où ils trouvaient d’abondantes et honorables compensations. Accotés à des grandes villes et à des régions de leur tempérament, ils jouirent de la civilisation parisienne et gardèrent le sentiment de leur bourgeoisie, à défaut du plein usage de leurs libertés. Après trois siècles, Metz fut une seconde fois trahie par ses défenseurs ; en 1870, les habitants firent vainement une démarche solennelle près du maréchal Bazaine pour lui apprendre qu’il n’avait plus leur confiance et pour qu’il remît ses pouvoirs au général Ladmirault. Cette malheureuse ville livrée ne peut recevoir de ses possesseurs actuels ni voisin, ni attache qui la satisfasse ; l’armée allemande l’a arrachée à ses naturelles conditions de vie et la détient comme une captive dans une enceinte fortifiée.

Ainsi Saint-Phlin, se promenant avec Sturel sur l’Esplanade, lui résumait les précédents de Metz, et il ajoutait :

— À aucune époque, Metz ne subit une crise qui risque plus de couper sa tradition. Voici que les Allemands, désespérant de séduire cette population, ont entrepris de la transformer brutalement. Pour vider les cerveaux lorrains de toute civilisation française et substituer l’allemande, ils ont décrété que dans ce pays, où jamais on n’a parlé une autre langue, la française serait interdite.

À la belle température des jours précédents succédait une pluie tiède qui de temps à autre forçait Sturel et Saint-Phlin à se couvrir de leurs pèlerines lorraines et qui donnait à la verte campagne, à la ville, quelque chose de triste, de résigné, de méditatif. Le passé, que l’un ne se lassait pas d’apprendre ni l’autre de se préciser et de coordonner en l’expliquant,