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LA FIÈVRE EST EN FRANCE

moi exactement ce qu’est l’ouverture dans un opéra de Wagner : l’auditeur y entend, exprimés par des thèmes musicaux sommaires, tous les motifs essentiels de l’action qui va se dérouler. J’ai trouvé dans cette université l’atmosphère générale que j’avais pressentie et j’ai passé en revue superficiellement tout ce que je me propose d’acquérir. J’entendais fermenter les idées. J’étais venu pour apprendre à bien voir les phénomènes sociaux, pour embrasser la complexité de leurs données et pour suivre leurs transformations. Tous ces professeurs ont un esprit commun ; ici, on respire l’évolution. Je ne puis pas t’expliquer combien ce mot et son cortège d’idées remuent tout mon esprit. À qui dois-je cette sensibilité ? Dans cette atmosphère de vague qu’avaient alors nos pensées et qu’à gardée pour moi la classe de Nancy, revois-tu certain jour où Bouteiller nous disait, avec une gravité d’accent presque douloureuse, la modification incessante des choses qui passent comme les flots, et commentait la parole d’Héraclite : « On ne saurait descendre deux fois dans le même fleuve. » Cette poésie s’est attachée aux racines de mon être, et la moindre excitation suffit à faire réapparaître sa puissance. Quand, au square des Invalides, M. Taine me montra son arbre et que je conçus ce sage lui-même comme un animal périssable, j’eus des larmes dans les yeux.

« Les Allemands disent que les Français sont des hommes qui n’envisagent les choses que d’un seul aspect. Si ce sont nos vieilles habitudes, je suis bien capable d’en sortir. C’est peut-être que je n’ai pas beaucoup de goût littéraire et que trop de clarté me répugne, mais je trouve mon bien-être, et une