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L’ÉPUISEMENT NERVEUX CHEZ LE GÉNÉRAL

un supplice atroce ; que, si je le supporte encore aux yeux des indifférents, c’est que je veux accomplir jusqu’au bout ce que je considère comme un devoir. Le jour où, tôt ou tard, je n’en pourrai plus, le jour où mes forces seront épuisées, au moins vous me rendrez cette justice que, le cœur brisé, j’ai tenu bon jusqu’au moment où la lutte avec la vie m’a terrassé. Si vous saviez tout ce que les lettres politiques me coûtent à écrire, tout ce que les visites me coûtent à recevoir, vrai, vous auriez pitié de moi, et pourtant, je le répète, j’irai jusqu’au bout. »

De tels documents établissent avec netteté l’épuisement nerveux. Cet état ne va guère sans insomnies mêlées d’images délirantes. C’est le chemin de l’hallucination. Les boulangistes commentaient avec une inquiétude grandissante cet autre fragment de lettre, admirable couplet de lyrisme, de sincérité et de douleur :

« Nous nous aimions tant, nous nous étions tellement identifiés que nous ne formions qu’un, et c’était indissoluble. En partant, elle a emporté non pas seulement la moitié, de moi-même, mais tout ce qu’il y avait de bon, de noble, de généreux en moi. Je vous le dis simplement, mais véridiquement : je ne suis qu’un corps sans âme, je vis machinalement. Et puis chaque nuit, je la revois, jamais malade, mais belle, resplendissante, avec son corps impeccable et son âme toute de bonté et de nobles sentiments, qui me tend les bras et me rappelle toutes ces phrases folles que je lui redisais sans cesse, et toujours en me réveillant j’ai dans l’oreille sa voix triste, résignée, me disant : « Je t’attends. »

Lumières certaines sur ce problème si passionnant