Page:Barrès - La Terre et les morts.djvu/15

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Arbre chargé d’imprévu, je l’avoue, l’histoire de la France au XIXe siècle ! Sans doute il vaudrait mieux ne pas se développer dans des incertitudes et par des oscillations, comme c’est notre loi depuis un siècle. On fait à ce jeu de bascule une regrettable consommation d’énergie, et puis c’est un peu démoralisant d’admettre que nous nous sommes si souvent trompés. Pourtant, ne nous étonnons point des difficultés que rencontre notre démocratie à s’organiser : dans les siècles précédents et quand il s’agissait de la formation de la France, le bien se fit à travers des contradictions plus cruelles encore.


Je suis Lorrain, Messieurs ; depuis un siècle seulement mon petit pays est français. Parlons franchement comme des historiens. Nous ne sommes pas entrés dans la patrie française parce que c’était notre goût ; en vérité nous y sommes venus parce que nous étions piétinés tantôt par la France, tantôt par l’Allemagne, parce que nos ducs, n’ayant pas su nous organiser, manquaient à nous défendre, et qu’après les atrocités dont nous avaient accablés les Français, il nous fallait de l’ordre et de la paix.

Vous imagineriez difficilement, Messieurs, une pire histoire que celle de la Lorraine, disputée entre la France et l’Allemagne dès le Xe siècle et que ces deux grands pays ne laissent pas vivre de sa vie organique. Nous avions une bonne maison souveraine, nos coutumes, des institutions, tout ce qu’il faut pour conquérir une place dans l’histoire ou,