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LES DÉRACINÉS

il leur tendit la main, et, quand ils furent assis :

— Monsieur Mouchefrin, monsieur Racadot, — dit-il avec simplicité, — en quoi puis-je vous être utile ?

Au même moment sa domestique déposa auprès de lui un plateau supportant deux œufs, un verre d’eau, une tasse de café.

— Permettez que je déjeune tout en vous écoutant. Mouchefrin exposa leur désir et leur détresse. Il demandait à Bouteiller de leur procurer des leçons particulières.

— Monsieur Mouchefrin, monsieur Racadot, répondit Bouteiller, voilà ce que ma conscience ne me permet pas. Une indication de ma part à mes élèves sur le choix d’un répétiteur serait une pression. Non, je ne puis leur parler de vous. Je le regrette…

Il leur donna des paroles encourageantes, et lui-même faisait leurs réponses. Puis, se levant :

— Messieurs, conclut-il, si vous voulez venir partager mon déjeuner, vous trouverez toujours ici un ami.

Mouchefrin et Racadot regardèrent les deux petits œufs, la bonne pièce bien chaude, pleine de livres, de journaux, de dossiers, la haute figure, si grave, si noble de Bouteiller. Ils songèrent à tout ce qu’ils devaient lui proposer : d’être ses hommes de paille, de l’aimer, de le servir. Mais, sûr de soi comme il se montrait, sollicité, absorbé par tant de travaux, sans doute il avait déjà ses créatures. Ils entrevirent qu’ils étaient à ses yeux du néant. Ils sortirent très gauches. très humiliés et très remerciants.

Parents et élèves assez justement se méfient du