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LES DÉRACINÉS

Brander : « On ne peut pas toujours se passer de l’étranger. Les choses bonnes sont souvent bien loin. Un bon Allemand ne peut souffrir les Français ; seulement, il boit leurs vins très volontiers. » Pour l’instant, comme s’il soupait avec des filles, il s’amuse de ces farceurs de députés et journalistes, des habiletés de l’économiste à tout faire rentrer dans son système ploutocrate et de l’ensemble de cette tablée que le baron et les deux banquiers en son honneur animent et font briller. Et pourtant ce puissant financier-là, ce n’est point un Rothschild. Un Rothschild peut bien conférer à de rares occasions avec un ministre, mais de préférence se tient à l’écart des figurants officiels.

Le trait commun à toutes ces figures, c’est l’impudence, depuis la bassesse du coquin et du mufle, jusqu’au nihilisme de Méphisto. Il y a surtout des impudences de gras, qui font penser aux valets du répertoire, et des impudences de maigres, qui plaisent par une franchise soldatesque. Mais, pour soutenir la comédie qu’aiment à donner dans le repos d’un bon dîner tous ces visages, quelles énergiques charpentes ! les fortes mâchoires, les fronts de bélier !

Il faut mettre à part l’économiste et les peintres, chez qui l’on distingue de la puérilité. L’économiste, c’est un peu un artiste comique, ou plus exactement une coquette : il ne se suffit pas à soi-même ; il n’a pas le goût de la réflexion ; il attend toujours l’occasion de placer un propos fin, une interprétation heureuse des statistiques, un paradoxe délié et malin à l’usage des riches ; son impatience, son habitude de bavarder sont si fortes que, dans ses silences, son menton marche tout seul, comme il arrive à ceux