Leurs propos révèlent l’habitude constante de tenir compte des proportions entre les divers hommes et entre les divers intérêts qu’ils ont à manier. Ils savent mettre chaque chose à sa place. C’est la grande sagesse pratique. Et puis ne partons pas en campagne sur des mots, ne discutons pas des cas hypothétiques ; seuls les faits comptent… En public, s’ils ont à parler, ce devient du galimatias à peine coordonné : — c’est manque de talent et c’est prudence, rien n’étant plus dangereux à la longue que les affirmations claires. ; dans le privé, ils sont elliptiques et nets, comme des complices qui s’entendent à demi-mot. Ce ne sont pas des romantiques. En eux se continue un état d’esprit qui a exprimé son idéal dans le second Empire : adhésion à l’idée de progrès et de douceur générale des mœurs, nulle notion de moralité ni de dignité personnelle ; certitude que le troupeau sera bien soigné si chacun soigne ses propres intérêts. Il en est des écoles de vie comme des écoles d’art : elles ne disparaissent pas sans avoir épuisé tous leurs principes. On les approuve d’abord, et moins pour leur valeur propre que par dégoût des formes qu’elles balayent ; puis elles-mêmes se vident, fatiguent et sont supplantées.
La conception des politiciens du second Empire supposait chez eux une élégante indulgence pour leurs propres faiblesses et pour celles des autres ; Morny, avec de jolies manières, de la bravoure et de l’esprit, peut masquer sa médiocrité de fond et faire un agréable personnage. Quand ces qualités tout extérieures manquent, comme il arrive chez des hommes sans éducation, nulle délicatesse profonde ne se trouvant en eux qui puisse y suppléer, les