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LES DÉRACINÉS

confondent au-dessus d’eux dans la nuit, ont une senteur mouillée de verdure : l’atmosphère est opalisée par la molle clarté, tout respire dans un mélange délicieux d’oppression et d’allégresse : ainsi la force voluptueuse qui est en eux, et n’ose se manifester, les gêne et les transporte. Dans ces tendres ténèbres, son regard ne distingue plus les perfections du corps de la jeune fille, mais sa sympathie les lui fait percevoir avec une vivacité qui le trouble et le contraint au silence. Elle lui raconte alors que sur ce même banc, l’année précédente, elle est venue s’asseoir ; elle dit, puis se tait, il suppose qu’elle calcule combien d’âme il ajoute aux plus beaux soirs de mai.

… Dans la voiture qui stationne sur la place, les deux dames doivent s’impatienter. Les jeunes gens se rapprochent, mais, cette fois encore, veulent traverser à pied le pont pour revoir les vagues douloureuses qui contrastent avec la sérénité inexprimable du ciel. Les rais de lune sur la Seine à Saint-Cloud ne sont pas plus divins que sur la Moselle, et pourtant Sturel ne songera jamais à les comparer.

Deux voyous qui passaient firent une réflexion sur l’odeur qu’exhalait le vêtement de la jeune fille. Elle ne parut pas entendre, mais, un peu après, elle dit avec une petite inquiétude :

— Je ne sais pas pourquoi la couturière a fourré du parfum dans mon collet. Elle sait bien que je n’en porte jamais : je trouve cela grossier.

Voilà qui est touchant et la marque d’une amoureuse de craindre une diminution dans l’esprit de son compagnon à cause du jugement de deux ama-