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LES DÉRACINÉS

entre deux complices qui mangent le morceau. Furieuse attaque contre l’absent : toute une avalanche de boue qui tombait de cette bouche tordue par de vraies secousses d’hystérie. Il avait l’air d’un haillon dans une tempête. Plus encore que par ses terribles révélations, par sa convulsion physique, il épouvantait les deux assistants qui se rappelaient l’avoir vu petit garçon et bon élève.

Alors sur le lit, quelque chose remua et l’on vit d’abord comme un paquet qui bougeait, puis comme un gros chien qui se dressait, se dégageait : c’était la Léontine accroupie.

— Menteur ! menteur ! veux-tu laisser mon homme ? cria-t-elle à Mouchefrin.

« Mon homme !… » Comme elle a dit cela avec une vulgarité puissante !… Ils allaient se frapper :

— Taisez-vous ! leur cria Sturel.

Quelle scène et dans quel décor ! Des brassées de fleurs ornaient pourtant le pot à eau, mêlaient leur parfum à ces hontes : car la veille, samedi, Mouchefrin avec la Léontine, tandis que Racadot se débattait chez le juge, avait fait une partie de campagne. Elle avait rapporté ces fleurs. Mais lui, qu’il avait mal participé de la douceur et des verts délicats de Meudon, ressuyés par le dernier soleil de mai !… C’est au retour qu’ils constataient que Racadot ne revenait pas du Palais.

L’affreuse altercation de Mouchefrin et de la Léontine avait duré moins de deux minutes. Maintenant la femme pleurait. Alors ils distinguèrent dans un recoin de la chambre un troisième personnage : Fanfournot. Cette misère donne asile à de plus misérables.