Page:Barrès - Les Déracinés.djvu/93

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
83
LEUR INSTALLATION À PARIS

désignaient eux-mêmes par un assemblage de sons maintenant insupportable à l’oreille parisienne. La gouaillerie et le bon sens de Rœmerspacher, comme son accent, sortent du vieux fonds national.

Mais, s’asseyant à côté de Sturel, sans plus s’inquiéter du tapage :

— Qu’est-ce que Paris ? dit-il. Est-ce si grand ? si beau ?

— Plus beau, dit Sturel, plus grand que nous n’avions rêvé.

— Mais c’est très plein ! — jeta l’ironique Renaudin.

Tous entraînés par l’ardente curiosité et le ton convaincu du nouvel arrivé, commencèrent à se communiquer les uns aux autres leurs jugements sur Paris ; ils goûtaient le plaisir de s’expliquer et de se connaître soi-même. Ils avaient hâte de sortir du trouble, de l’indiscernable où ils avaient vécu dans la période chaotique du lycée.

— Je vais en vous quittant dormir une paire d’heures, dit Rœmerspacher ; vous m’indiquerez une chambre au plus épais, ses fenêtres bien ouvertes sur la rue ; que j’entende tout le tapage ! Et sitôt la vie réveillée dans les rues, j’achète un cahier blanc, un itinéraire et je commence à visiter cet immense désordre de gens, de monuments, d’idées pour comprendre le plus de choses possible. L’instant est venu de nous déniaiser.

— Les choses, répond Sturel, cela ne m’attire guère. Ce que j’aime ici, c’est que j’y suis mon maître. Depuis six jours, à dire vrai, un seul endroit toujours m’attire… — continuait Sturel.

— Je le devine ! — interrompit Rœmerspacher,