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LE SYMBOLISME ET LA PRESSE

décadent : « Le trait caractéristique de sa physionomie morale est une aversion déclarée pour la foule considérée comme souverainement stupide et plate. Le poète s’isole pour chercher le précieux, le rare, l’exquis. Sitôt qu’un sentiment est à la veille d’être partagé par un certain nombre de ses semblables, il s’empresse de s’en défaire à la façon des jolies femmes qui abandonnent une toilette dès qu’on la copie. La santé étant essentiellement vulgaire et bonne pour les rustres, il doit être au moins névropathe. » Paul Bourde énumère alors les goûts du décadent tels qu’ils sont indiqués par le préfacier des Déliquescences : passion des stupéfiants, amour de l’étrange, du faisandé, du malade, du libertin et du mystique. Pour lui, ce mélange de mysticisme désespéré et de perversité satanique fleure un peu la fumisterie. Le critique aurait donc laissé les décadents « tranquilles dans leur petite église transformée en mauvais lieu », si ces novateurs n’avaient fait du côté du rythme et de la langue des essais dignes d’attention. Les décadents ont continué la révolution entreprise par Victor Hugo. Verlaine a inventé de nouveaux rythmes et de nouvelles strophes. Dans la langue, à l’instar du Baudelaire des Concordances, Mallarmé a donné l’exemple d’un système de notations « à faire frémir dans leur tombe les vieux grammairiens » et, en appliquant aux mots les procédés de la transposition, de l’analogie, de la suggestion afin de les rendre vivants, réalisé dans toute sa beauté « le chaos de la langue mise au pilon par l’analogie ». Après quelques échantillons de poésie suggestive, Paul Bourde adressait aux petits journaux décadents : Lutèce, la Minerve, la Vie moderne, des plaisanteries faciles ; il concluait que les décadents représentaient la dernière période de l’infatuation artistique, ce mal qu’on trouvait en germe dans la Jeune-France du 1835 et qui après Gautier, Baudelaire et le Parnasse, achevait de détourner le poète de la source des grandes inspirations, pour le rabaisser au rang d’un simple