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LES MALLARMÉENS


Quant au vers, il est ce qu’il doit être pour traduire l’impression de l’heure, long, virulent, tonnant si le prophète inspiré rugit la vérité, brusquement coupé si quelque obstacle interrompt le cours de la prophétie. Ici, c’est le rythme enthousiaste qui traduit la joie de vivre :

Je marche avec l’orgueil d’aimer l’air et la terre,
D’être immense et d’être fou
Et de mêler le monde et tout
A cet enivrement de vie élémentaire[1].


Là des mesures lentes et tristes qui évoquent des jours gris :

Brumes mornes d’hiver, mélancoliquement
Et douloureusement, roulez sur mes pensées
Et sur mon cœur vos longs linceuls d’enterrement
Et de rameaux défunts et de feuilles froissées
Et livides[2]


Ailleurs, le cri du dément, l’éclair de la folie qui, brusquement, vous taraude un cerveau :

Dans un champ d’orge et de méteil
A coups de bêche, à coups de sonde
Le fossoyeur creuse un grand trou.
« Si cette fosse est si profonde
C’est pour y tasser le soleil »,
Dit-il, — et ses grands yeux sont fous…
. . . . . . . . . . . . . . .
Et la nuit vient et le vent sombre.
Le fossoyeur assis dans l’ombre
Sur la fosse paraît géant.
Il ne voit pas monter l’aurore
Et sa voix vainement sonore
Nous crie : « Il est dedans… dedans ! »
Il est aussi des gens…, des gens[3].

  1. Les Forces tumultueuses : un Matin.
  2. Les Bords de la route : les Brumes.
  3. Le Fossoyeur hagard.