Page:Barrucand - Avec le Feu, 1900.djvu/256

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ensemble, et se consoler à deux quand on aura de la peine. Vivre à part —  est-ce qu’on peut  ?

Elle jacassait.

—  Et, vous savez, le bonheur, on l’a dans le sang. Je. n’ai jamais rien pu apprendre, mais si j’aime les gens, je les comprends  : voilà  ! Pour m’expliquer, c’est autre chose. Je me laisse aller, je me sens vivre, et quand j’ai le cœur gros, c’est bon de pleurer, même sans raison. On dort, on oublie  ; on se réveille un matin de bonne humeur —  pourquoi  ? On ne sait pas. L’avenir, la vieillesse, c’est loin  : on verra, on trouvera le moyen de s’arranger en route  ; je ne m’en tracasse pas  ; à quoi sert d’y penser  ? Et puis il y a des moments où il me semble que je ne mourrai jamais. Suis-je bête  ! J’ai rêvé des choses  ; je me suis crue belle… on me l’avait dit… Et qu’est-ce que je suis  ? un modèle d’atelier… C’est pas grand-chose. Enfin, je suis une femme qui a un corps —  j’ai ma fierté aussi à cause de cela. Et puis j’aime mieux avoir du chagrin que d’en faire aux autres…

Le fiacre cahoté s’engageait dans la cour du Carrousel.