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de l’Impiété. Chap. I.

avoit pris de son enfance. Sa jeunesse fut celle d’un temps où Voltaire commençoit à faire des partisans à l’incrédulité. Avec quelques secours pour son éducation, il fit tout ce que font tant de jeunes gens, qui trouvent des délices à se nourrir furtivement des ouvrages écrits contre une religion dont ils aiment peu à connoître les preuves. Il fit sur-tout ce que font les enfans méchans, qui se plaisent à déchirer un maître qui les gêne.

Avec ces dispositions du cœur et de l’esprit, d’Alembert fut bientôt disciple de Voltaire. La conformité de leur penchant pour l’incrédulité, et leur haine commune pour le Christ, compensèrent la différence des caractères et l’immense intervalle des talens.

Voltaire étoit bouillant, colère et impétueux ; d’Alembert réservé, froid, prudent et astucieux. Voltaire aimoit l’éclat ; d’Alembert se cachoit pour n’être qu’apperçu. L’un ne dissimuloit que malgré lui, en chef qui doit masquer ses batteries ; il auroit mieux aimé, comme il s’en explique lui-même, faire à la religion une guerre ouverte, et mourir sur un tas de chrétiens, qu’il appelle bigots immolés à ses pieds. (Lettre de Voltaire à d’Alembert, du 20 Avril 1761.) L’autre dissimuloit par instinct. La guerre qu’il faisoit étoit celle d’un demi-chef, qui rit derrière ses buissons, de voir ses ennemis tomber les uns après les autres dans les pièges qu’il a tendus. (Voyez sur-tout la lettre 100 de d’Alembert, 4 Mai 1762.) Avec tous les talens et tout le goût de la belle littérature, Voltaire est presque nul pour les mathématiques. Celles-ci furent pour d’Alembert le seul titre à sa réputation : sur tout autre sujet il est maigre, précieux, entortillé ; il est par fois bas et ignoble, autant que Voltaire est coulant, noble, facile, riche et élégant, quand il veut l’être. D’Alembert méditant un sarcasme ou une épigramme, ne l’a pas encore affilée, que