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croire, et quand je pense à la grande provision de sagesse que l’on peut faire après vingt ans, je m’étonne toujours que les gens de quarante ne soient pas tous des Catons.

Peut-être, après tout, que si les choses se passaient ainsi, le monde deviendrait trop monotone. Pas un petit mot à dire contre personne : rien pour égayer une conversation, je vous demande un peu, de quoi parlerions-nous ?

Peu d’années, quelques mois souvent, apportent des changements dans notre manière d’envisager la vie.

Nos gros chagrins d’enfants nous semblent aujourd’hui bien puérils, et, c’est de l’autre côté, car, il y a un autre côté, heureusement, que nous rirons bien de nos maux présents.

En attendant, il faut les supporter, les endurer le mieux possible. D’abord, il ne sert pas de se débattre contre l’inévitable ; le meilleur parti à prendre est encore d’accepter sans maugréer.

Puisque les récriminations n’y font rien, qu’est-ce que cela sert alors de récriminer ?

« Grin and bear it, » dit le proverbe anglais, et il y a beaucoup de philosophie là-dedans.

Beaucoup de gens, quand ils ont du chagrin, ne voient ni autour d’eux, ni dans l’univers entier, de douleur comme la leur : ils en font le sujet de leurs conversations journalières, quand ils ne se contentent pas d’y faire des allusions fréquentes, avec accompagnements de oh ! de ah ! et de soupirs à fendre les pierres.

C’est plus que de l’égoïsme, c’est de la folie. Ce n’est pas parce qu’un nuage sombre traverse notre ciel qu’il faut faire partager notre tristesse à tout ce qui nous approche, servir d’éteignoir à toutes les explosions de gaîté et rendre la vie plus dure qu’elle ne l’est.

Et, Dieu sait qu’elle est assez triste, parfois, sans qu’on en exagère les mauvais côtés.