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CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.


et l’épée sur la cuisse ; j’ai dormi mon sommeil dans la foret de Kelidon[1] ! »

Puis il ajoute: « Écoute-moi, cher petit marcassin, toi qui es doué d’intelligence, entends-tu les oiseaux? comme l’air de leurs chants est gai[2]! »

Ailleurs il lui donne des conseils, et, chose digne de remarque, chacune des strophes de sa leçon débute par la formule doctorale qu’on vient d’entendre, comme chaque partie de la leçon de notre Druide à son élève par l’injonction pédagogique qu’on a lue :

« Écoute-moi, cher petit marcassin, dit-il, petit marcassin intelligent, ne va point fouir à l’aventure, au haut de la montagne; fouis plutôt dans les lieux solitaires, dans les bois fourrés d’alentour… » Sans insister, je conclus que le symbole étrange du chant armoricain cache la même réalité humaine que la figure des poëmes gallois.

X-XI. Avec les dix vaisseaux ennemis arrivant de Nantes dans la capitale des Vénètes, pour le malheur des habitants, avec les onze Bélek ou Prêtres, débris de trois cents, qui reviennent de Vannes, où ils ont été vaincus, comme l’atteste leur bâton de coudrier, symbole celtique de la défaite[3], nous semblons quitter le domaine de la mythologie pour entrer dans celui de l’histoire. Mais d’abord quelle est la vraie signification du mot bélek ? S’il veut dire prêtre en général, aujourd’hui, il avait, au quatrième siècle, une signification plus précise, il indiquait un ministre du dieu Bel. Le témoignage d’Ausone est formel. Il croit faire honneur à un professeur de rhétorique de son temps en lui disant : « Ô toi, qui, né à Bayeux, descends d’une famille de Druides, tu tires ton origine sacrée du temple de Belen ; à ce dieu devaient leur nom ceux qui étaient ses ministres, comme tes ancêtres[4]. » Ce fait admis, me serait-il permis de hasarder une hypothèse? On sait que la flolte de César partit de la Loire[5], et peut-être de Nantes même, pour venir attaquer la capitale des Vénètes ; on sait qu’il anéantit leur puissance maritime, qu’il vendit à l’encan tous ceux dont il put se rendre maître, qu’il fit égorger leur sénat et leurs prêtres. Les dix vaisseaux ennemis mentionnés par le poëte armoricain ne représenteraient-ils pas la flotte romaine tout entière, et les onze bélek fugitifs, les débris dispersés du collège druidique ? César dit, à la vérité, que les Druides étaient étrangers à la guerre, et ceux-ci sont armés; mais il dit aussi qu’à la mort de l’archidruide, ils mettaient souvent l’épée à la main pour disputer l’autorité suprême[6]; à plus forte raison durent-ils prendre les armes pour détendre leur patrie en danger.

XII. Quoi qu’il en soit, il est curieux de voir le poëte armoricain re-

  1. Myvyrian, t. I. p. 150.
  2. Ibid., p. 135.
  3. Reddidit Alfred Machtiern filius Gestin monachiam sancti Salvaloris (quam injuste per vim tenebat), in manu abbatis cum virga corilina anie Salomonem regem totius Britanniae magnæque partis Galliarum. (Cartularium Rotonense ; ad ann. 867 ; D. Morice, Preuves, t. I, p. 308. V. aussi sur le même symbole, dans Owen, Dictionn., t. I, p. 234.)
  4. Tu Bajocasis slirpe Druidarum salus;
    Beleni sacratum ducis e templo genus
    Et inde vobis nomina. (Auson., Profess., 4.)

  5. Naves ædificari in flumine Ligeri jubet. (Lib. VI.)
  6. De principatu armis contendunt. (Ibid.)