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LES SÉRIES.

garder la mort violente des prêtres du dieu Bel comme le présage de la révolution des douze signes du zodiaque et même de la fin du monde. Il est curieux de le voir donner pour présage de cet événement le meurtre de la Vache sacrée des Bretons, de « la vache noire à l’étoile blanche, » ainsi que la désigne expressément un ancien barde gallois ; de la vache « vigoureuse, vigilante, bonne, belle entre toutes, sans laquelle le monde périrait[1]. » Nous voyons, au quatorzième siècle, un poëte cambrien, qui survécut à la persécution de ses confrères, peindre en traits prophétiques le soleil détourné de sa course et perdu dans les airs, les astres désertant leur orbe et tombant, comme une conséquence de la chute des bardes nationaux, et nous l’entendons s’écrier, avec désespoir : « C’est la fin du monde ! » Cette concordance de doctrine est frappante. Évidemment l’auteur cambrien connaissait une partie des secrets dont l’Armoricain fait un si pompeux étalage, et il avait puisé au même courant traditionnel. Les bardes gallois du moyen âge, il ne faut pas l’oublier, étaient les descendants convertis des Druides, prêtres du dieu Bel, et les paysans du Gladmorgan, sans comprendre la portée du terme, donnent encore à ceux d’aujourd’hui le nom très-caractéristique d’initiés de la vallée de Bélen[2]. Le barde armoricain le mériterait bien plus.

Mais il est un fait qui donne à son œuvre une grande importance ; c’est qu’il en existe une contre-partie latine et chrétienne. Je la trouve dans un recueil de cantiques bretons du moyen âge, réédité, en 1650, par Tanguy Guéguen, prêtre, le même qui publia la troisième édition du Grand mystère de Jésus[3], et on la chantait encore, il y a peu d’années, au séminaire de Quimper. Le fait dont je parle prouve que les premiers apôtres des Bretons firent aux monuments de la poésie païenne de ce peuple la même guerre habile et une guerre du même genre qu’aux monuments matériels de sa religion. On savait déjà que, dans tout ce qui n’était pas en opposition directe avec le dogme catholique, ils s’étaient plutôt efforcés de transformer que de détruire, fidèles aux instructions du pape saint Grégoire le Grand, qui leur avait dit : « Retrancher tout à la fois, dans ces esprits incultes, est une entreprise impossible, car qui veut atteindre le faîte doit s’élever par degrés et non par élans … Gardez-vous donc de détruire les temples ; détruisez seulement les idoles et remplacez-les par des reliques. »

Les missionnaires transportèrent donc la forme, le rhythme, l’air, la méthode élémentaire, toute l’enveloppe du chant païen dans la contre-partie chrétienne ; l’enseignement seul fut changé. L’apôtre emprunte au Druide son système pour le combattre. Si l’un tire de ses poèmes sacrés la doctrine qu’il inculque à ses disciples, au moyen des douze premiers nombres, l’autre, adoptant les mêmes chiffres, attache à chacun d’eux une vérité tirée de l’Ancien ou du Nouveau Testament que les jeunes néophytes retiendront aisément par l’effet

  1. Myvyrian, t. I, p. 74, 75 et 29.
  2. Ed. Williams, Poems, t. II, p. 161.
  3. An novelon ancien, etc., an oll amantet gant Tanguy gueguen, belec. Quemper Caurentin MDCL, p. 105.