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CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.
NOTES

Le fait qui a fourni le sujet de cette ballade fantastique au barde voyageur se devine : c’est un enlèvement. L’enfer, tel que le décrit ici le poëte, n’est ni l’enfer comme le conçoivent les Bretons d’aujourd’hui, ni l’enfer tel que le concevaient les Gaulois, bien que les abords en soient les mêmes ; il nous retrace des caractères empruntés à l’un et à l’autre ; ce qui est plus inattendu, il nous fait entrevoir les mystères du Walhalla des Scandinaves : les damnés boivent de l’hydromel, et la fiancée, assise sur un fauteuil doré, leur sert d’échanson. Elle ne forme aucun vœu ; elle ne souffre pas ; les démons n’ont aucun pouvoir sur elle, tant qu’elle porte des symboles bénits ; mais elle les abandonne, et soudain le puits de l’abîme l’engloutit.

On devait se figurer ainsi l’enfer au moyen âge, et Satan, comme un chevalier, avec un manteau rouge, un casque d’or et des éclairs dans les yeux. Le barde lui fait monter une haquenée anglaise, pareille à celle d’un seigneur chevalier qui repose à Izel-Vet.

J’ai vu dans la chapelle de Lochrist d’Izel-Vet, à quelques lieues de Saint-Pol-de-Léon, dans le chœur, à droite de l’autel, près de la balustrade, une tombe plate avec la figure gravée en creux d’un chevalier tout armé, autour de laquelle est écrit en caractères gothiques :

Hic jacet Alanus de Villamavan
M… Die festi bea. . Anno Dm mccliii.
Requiescat in pace.


C’est la sépulture d’Alain de Kermavan[1]. Il y a lieu de penser que la ballade fait allusion à lui ; mais en l’appelant Pierre, elle change son nom de baptême. L’on doit croire qu’il n’était pas mort depuis très-longtemps, sans quoi le barde ne l’aurait pas cité comme exemple à ses auditeurs. Telle est la raison qui me fait assigner à la pièce une date antérieure à la fin du treizième siècle.

Je l’ai recueillie de la bouche du poëte paysan dont j’ai parlé dans l’introduction de ce livre.

  1. La Bretagne contemporaine, p. 78, et le Nobiliaire breton, de M. de Courcy, t. II, 2e édit.