Page:Barzaz Breiz 4e edition 1846 vol 2.djvu/103

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plir son devoir de bon chrestien, jeusnant le caresme, mesme à la campaigne ; ce qu’il faisoit quand il fut tué, qui fut le jeudi absolu ou le jour de devant (1594). Mais il semble que Dieu le vouloit à lui, le trouvant disposé de jouir de la gloire éternelle. »

Kercourtois eut une de ces morts glorieuses, si communes dans les temps modernes : il périt en gardant le pont de la Houssaie, près de Pontivy, qu’il défendit seul, pendant près d’une heure, contre six ou sept cents arquebusiers ennemis, jusqu’à ce que, tentant un dernier effort pour les chasser au delà, et « s’estant avancé de furie, dit l’historien déjà cité, son cheval eut un des pieds de derrière pris entre deux planches du pont, et tomba sous lui. Dans ce moment accourut un soldat, qui lui donna, au défault de la cuirasse, de son espée au travers du corps… Il trespassa à cheval, sur celui même qui avoit combattu. Son corps fut rendu à Kemper, et enterré aux cordeliers avec une grande magnificence, et beaucoup de pleurs de toutes sortes de genz, car il estoit fort aimé. »

L’antique usage de l’enlèvement de la bannière paroissiale de Saint-Servet, auquel fait allusion le chantre des ligueurs, existe encore aujourd’hui. La veille du jour du pardon, qui a lieu tous les ans le 15 mai, et qui attire une foule immense de pèlerins, non-seulement des pays de Cornouaille, de Tréguier et de Vannes, sur la limite desquels est bâtie la chapelle du saint, mais même du pays de Léon ; à l’issue des vêpres, au moment où la procession va sortir, où croix et bannières se dressent, où le prêtre, debout sur les degrés de l’autel et tourné vers le peuple, élève le saint sacrement, les paysans de Vannes et ceux de Léon (car les Trégorois et les Cornouaillais restent neutres) se séparent tout à coup en deux camps, et, brandissant en l’air leurs terribles bâtons à tête, ils s’écrient d’une voix tonnante :

Hij ar reo ! io ! io !
Hij ar reo ! hij ar reo !

(Secoue la gelée ! io ! io ! secoue la gelée ! secoue la gelée !)

C’est une prière à Dieu pour qu’il détourne des blés qui poussent les gelées dont ils sont menacés. La procession sort de l’église, et la mêlée s’engage autour de la bannière, dont les deux partis rivaux, qu’on distingue à un morceau d’étoffe rouge ou blanc croisé sur l’épaule gauche, s’efforcent de disputer la possession au vigoureux Cornouaillais qui la porte. Les vainqueurs s’en partagent les lambeaux, et la gelée est pour les vaincus.