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JOURNAL

une provocation, une moqueriel Je suis là à me débaltre dans ce cauchemar pendant que les autres vivent !  !  !

La gloire ? Zut, la gloire ! Je vais me marier. A quoi bon retarder ce dénoue ment ? Qu’est-ce que j’attends ? Du moment que je supprime la peinture, le champ est vaste. Alors… il faut aller en Italie et se marier là… Pas en Russie, un Russe acheté serait chose affreuse. D’ailleurs, en Russie, je me marierais facilement, surtout en province ; mais pas si bête, moi. A Pétersbourg ? Eh bien, si mon père voulait, il pourrait peut-être nous y faire passer un hiver…

L’hiver prochain à Pétersbourg, alors ! Je ne crois pas que j’aime mon art : c’était un moyen, je l’abandonne… Vraiment ? Oh ! je n’en sais rien… Vais-je me donner un an ? La durée du bail de notre appartement ? To be or not to be ?

Un an n’est pas assez… ; au bout d’un an on verra s’il faut continuer… Mais en Italie, si je ne peins plus, j’entendrai parler de jeunes filles artistes, cela me fera rager et regretter, et puis chaque fois qu’à Naples ou à Pétersbourg on vantera le talent de quelqu’un, comment l’entendrai-je ? Et puis tout cela serait basé sur ma beauté ? Et si je ne réussis pas ? Car il ne suffit pas de plaire, il faut plaire à un homme voulu. Du moment que l’art est écarté et que j’admets la possibilité d’aller dans le monde ou même la possibilité de plaire dans la rue ou au théâtre… Je m’y perds, je vais me coucher. Ce Pétersbourg me sourit vraiment. Eh bien, à vingt ans, je ne serai pas trop vieille. A Paris, il ne faut rien espérer en fait de maris riches ; quant aux pauvres, l’Italie est plus commode.