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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

heures que je ne cesse presque de pleurer, je me suis couchée exténuée hier. Nous avions deux Russes à diner, Abigink et Sévastianoff, gentilshommes de la chambre de l’empereur, Tchoumakoff et Bojidar ; mais je n’étais bonne à rien. Mon esprit sceptique et gouailleur était parti. Il m’est arrivé de perdre des parents et d’avoir d’autres chagrins, mais je ne crois pas avoir jamais pleuré quelqu’un comme je pleure celui qui vient de mourir. Et c’estd’autant plus frappant qu’en somme cela ne devrait pas me toucher du tout, je devrais plutôt m’en réjouir. Hier, à midi, je quittais l’atelier lorsque Julian siffla la bonne qui mit l’oreille au tuyau et qui nous dit aussitôt, passablement émue :

Mesdames, M. Julian vous fait dire que le prince impérial est mort.

Je vous assure que j’ai poussé un vrai cri. Je m’assis sur le coffre à charbon. Et comme tout le monde parlait à la fois :

Un peu de silence, s’il vous plait, Mesdames. C’est officiel, on vient de recevoir la dépéche. Il est tué par les Zoulous. C’est M. Julian qui me le dit. On avait déjà fait courir ce bruit ; aussi lorsqu’on m’apporta l’Estafette avec ces mots en grosses lettres : Mort du Prince Impérial, je ne puis vous dire à quel point j’en fus saisie. D’ailleurs, à quelque parti qu’on appartienne, que l’on soit Français ou étranger, il est impossible de ne pas subir l’impression générale, qui est la stupeur. Cette épouvantable, cette intempestive mort est une chose affreuse.

Mais, je vous dirai ce que ne dit aucun journal, c’est que les Anglais sont des lâches et des assassins. Ce n’est pas naturel, tout cela !.. Il y a un ou plusieurs M. B. — 1I.

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