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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

avant sa naissance et qui m’y élais attachée autant qu’elle m’était attachée à moi !… Mais vous ne pouvez pas comprendre quel chagrin c’est pour moi. Je restais toujours à travailler avec ce chien qui ne me quittait jamais… Les miens, qui savent que je suis peinée, gardent un silence morne, Maman a couru toute la soirée. En rentrant, je suis descendue dans la rue et j’ai prié les sergents de ville de le rapporter s’ils le trouvent. On

a déclaré à tous les domestiques qu’ils doivent rapporter ce chien ou s’en aller. C’est le quatrième chien en un an. D’abord Pincio, puis Coco Ier, il y a huit jours Niniche, et hier mon chien. Lundi 4 août, — Je ne pouvais pas m’endormir, j’avais toujours devant les yeux ce pauvre petit chien encore bête, qui s’est sauvé effrayé par le concierge et qui ne sait où aller. J’ai même daigné verser quelques larmes, après quoi j’ai prié Dieu de me le faire retrouver. J’ai une prière spéciale que je me dis tout bas quand je demande quelque chose. Je ne me souviens pas de l’avoir dite sans en ressentir du soulagement. Ce matin, on m’a réveilléè en me rapportantlechien, et ce misérable avait si faim qu’il ne m’a pas trop témoigné sa joie.

Je le considérais comme perdu et ma famille répétait toujours qu’on l’avait tué, pour me mellre l’esprit en repos.

Maman crie que c’est un vrai miracle, car jamais nous n’avons retrouvé de chien. Elle le crierait bien plus si je lui disais ma prière ; mais je ne le dis qu’ici, et encore en suis-je mécontente : il y a des pensées et des