Page:Bashkirtseff - Journal, 1890, tome 2.pdf/214

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
209
DE MARIE BASHKIRTSEFF.

geåt autour de moi… Les nmiens me sont désagréables ; je prévois d’avance ce que dira ma tante ou maman, ou ce qu’elles feront dans chaque circonstance, comment elles sont au salon, à la promenade, aux eaux, et tout cela m’énerve horriblement… comme si on coupait du verre.

Il faudrait changer tout ce qui m’entoure, et après, calmée, je les aimerais sans doute comme on doit les aimer. Pourtant elles me laissent périr d’ennui, et quand je refuse un plat ce sont des airs épouvantés… ou bien mille tricheries pour ne pas servir de glace à table, parce que cela peut me faire mal. Ou bien l’on vient, comme des voleurs, fermer les fenêtres que j’ouvre. Mille petites niaiseries qui m’irritent ; mais tout ce qui est la maison m’obsède. Ce qui m’inquiėte, c’est que je me rouille dans cette solitude ; tous çes tons noirs obscurcissent l’intelligence et me font rentrer dans moi-même. Je crains que ces nuages sombres ne laissent pour toujours un voile sur mon caractère et ne me rendent amère, aigrie, sombre ; je n’ai pas envie d’être ainsi, et je crains de le devenir, à force de rager et de me taire.

On dit quej’ai une tenue parfaite, les vieux bonapartistes l’ont dit à Adeline… Non, voyez-vous, il me semble qu’il pèsera toujours sur moi une sorte de malaise. J’ai toujours peur d’être calomniée, humiliée, mise à l’index… et il doit en rester quelque chose, quoi qu’on dise… Non, voyez-vous, ma famille ne sait pas ce qu’elle a fait de moi. Ma tristesse ne m’effraie que parce que je crains de perdre à jamais toutės les qualités brillantes, indispensables à la femme… Pourquoi vivre ? Qu’est-ce que je fais ici ? Qu’est-ce que j’ai ? Ni gloire, ni bonheur, ni même paix !… 1. B. — II,

18.