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JOURNAL

soupçonne qu’il m’offre ce machin pour que je m’y embourbe et ne fasse rien : il est stipulé que le tableau lui appartiendra, à quelque degré d’exécution que je le laisse. Je lui fais part gracieusement de mes soupçons ; il me répond que je ne crois pas un mot de ce que je dis. En fin, vous comprenez, l’atelier est petit, nous ne sommes que douze, mais c’est assez pour me gêner, vu ma grande toile ; car enfin on nepeut pas demander aux élèves de s’immobiliser et de poser pendant deux mois pour moi. Je ne comprends pas comment je le ferai ; je voudrais bien faire autre chose, mais quoi ? — — Potain veut que je parte, Dimanche 26 décembre. je refuse net, et alors, moitié pour rire, moitié sérieusement, des plaintes contre ma famille. Je lui demande si de rager et de pleurer tous les jours peut faire mal à la gorge. Sans doute… Je ne veux pas partir. Voyager, c’est charmant, mais pas avec les miens, avec leurs petites tracasseries fatigantes. Je sais que je commanderais, mais ils m’énervent, et puis, non, non, non ! Je ne tousse presque plus, du resle. Seulement tout cela me rend malheureuse ; je ne m’imagine plus pouvoir en sortir ; sortir de quoi ? Je ne sais pas du tout et les larmes m’étouffent. N’allez pas croire que ce sont des larmes de fille pas mariée ; non, les autres ne ressemblent point à celles-là. En somme… c’est peut-être ça. Je ne pense pas.

Et puis, des choses si tristes autour de moi, et pas moyen de crier. Ma pauvre tante mène une vie si isolée, nous nous voyons si peu ; je passe les soirées à lire ou à jouer.

Je ne peux plus ni parler, ni écrire de moi sans fondre en larmes. Il faut croire que je suis malade… Ahl les folles plaintes ! Tout ne mène-t-il pas à la mort ?