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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

toute l’après-midi, c’est Versailles. Sitôt les billets reçus, on m’a expédié Chocolat et je suis rentrée pour changer de robe.

Dans l’escalier, je rencontre Julian qui est étonné de me voir partir de si bonne heure, je lui explique et répėte que rien autre que Versailles ne pouvait me faire quitter l’atelier. Il me dit que c’était d’autant plus admirable, que je pourrais si facilement aller m’amuser. Je

ne m’amuse qu’ici, monsieur. Et que vous avez raison ! Vous verrez comme cela vous fera plaisir dans deux mois. — Vous savez que je veux devenir très forte et que je ne dessine pas pour… rire… — Il faut l’espérer ! Ge serait agir avec un lingot d’or comme avec du cuivre, ce serait un péché. Je vous assure qu’avec les dispositions que vous avez, je le vois par les choses étonnantes que vous faites, eh bien, il ne vous faut pas plus d’un an et demi pour avoir un talent !

Oh ! — Je le répète, un talent ! — Prenez garde, monsieur, je vais partir enchantée. — Je dis la vérité, vous le verrez vous-même. A la fin de cet hiver, vous ferez des dessins, tout à fait bien, puis vous dessinerez encore, et je vous donne six mois pour vous familiariser avec les couleurs, pour avoir un talent, enfin !

Miséricorde du ciel ! Tout’en roulant vers la maison, je souriais et pleurais de joie et je révais qu’on me donnait cing mille francs par portrait. Des dames seules à la gare et… jusqu’à ce que nous soyons installées dans notre mauvaise tribune, c’est un enfer. Il pleut.