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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

rante francs, je fis des croquis. C’est un petit coin perdu ; j’espère que personne ne m’a vue jouant. Oh ! ces trois heures de voiture à écouter Mme R. ! Cette dame racontait des inepties qui n’avaient mėme pas le charme des bavardages du monde. Ah ! qu’ai-je fait au ciel pour étre comme ça ?

Pourquoi ne puis-je manger la mauvaise cuisine de l’hôtel, que mangent des princesses du sang pourtant ? Pourquoi ne puis-je supporter la misère intellectuelle qui m’entoure ? car je n’ai sans doute que ce que je mérite, et puis, en somme, si j’étais vraiment si supérieure, je saurais bien… Ah ! funèbre banalité ! O rêves de mon enfance ! 0 espérance divine ! Ah ! s’il y a un Dieu, il m’abandonne. Je ne suis tranquille qu’à Paris ; en voyage, on se voit tout le temps, etma famille m’agace. Ce n’est pas que mes mėres soient communes ou qu’elles se tiennent mal ; quand il n’y a pas d’étrangers, elles sont même très bien, et puis elles sont mes mères. Mais, dès qu’il y a des étrangers, maman pose, devient affectée dans sa prononciation, d’une façon qui a le don de m’exaspérer. C’est un peu ma faute. Je leur reprochais toujours de ne pas avoir su se créer de relations dans le grand monde etje leur dis quelquefois des choses désagréables pour les pousser à faire quelque chose. Mais ça ne peut que leur donner cette attitude piteuse. Je me plains toujours des miens, mais je les aime ; je suis juste. MADRID. Dimanche 2 octobre. — On croit avoir rêvé en sortant de cette infamie sanglante. Combat de taureaux ! Abominable tuerie de rosses et de vaches, où les hommes n’ont l’air de courir aucun danger et où ils jouent un role ignoble. Du reste, les seuls instants intéressants pour moi, c’était de voir les hommes rou1. B. — u,

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