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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

Ce matin, dès neuf heures, je suis au musée avec Velazquez, devant lequel tout est sec et pale, sauf Ribera qui ne le vaut pourtant pas. Dans le portrait d’un sculpteur inconnu, il y a une main !.. C’est la clef de toute l’exécution de Carolus Duran qui, comme on le sait, veut rééditer Velazquez. Nous avons acheté une guitare et une mandoline espagnoles… On ne se figure pas l’Espagne !… Et on dit que Madrid a moins de caractère que ce que je vais voir, Tolède, Grenade, Séville… Du reste, je suis ravie d’être ici, j’ai la fièvre de me faire la main avec quelque étude au musée, puis de faire un tableau et de rester ici deux mois s’il le faut. Jeudi 6 oclobre. J’ai copié la main de Velazquez, vėtue modęstement, en noir et en mantille, comme toutes les femmes ici ; mais on est venu beaucoup me regarder, un homme surtout. Il parait qu’à Madrid, ils sont pires qu’en Italie ; promenades sous les fenêtres, guitares ; on vous suit en parlant, partout, et ça dure. II y a des billets échangés dans les églises, et les jeunes filles ont comme cela cinq ou six soupirants ; on est extraordinairement galant pour les femmes, sans qu’il y ait là rien de blessant, car le demi-monde comme en France n’existe pas ; ces femmes-là sont très méprisées ; mais dans la rue, on vous dit très bien que vous êtes jolie, qu’on vous adore ; on vous demande de vous accompagner, sachant que vous êtes une dame, en tout bien tout honneur ! Et vous voyez des hommes vous jeter leurs manteaux pour que vous passiez dessus. Pour mon compte, je trouve ça ravissant ; quand je sors extrêmement simple, mais chic, on me regarde, on s’arrète et je.