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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

On sort de là un peu ivre de sang ; pour un peu on piquerait des pointes de fer à tout le monde dans la nuque.

J’ai découpé mon melon à table comme si je plantais une banderilla… Et ma viande me semblait sortir toute pantelante de la peau déchirée du taureau. Oh ! ça vous crispe aux jambes et ça vous serre la tête ; une école d’assassins. Maintenant, sans doute, ces hommes sont élégants, gracieux, ils ont des mouvements parfaitement harmonieux et dignes, malgré leur extrême souplesse.

On trouve magnifique ce duel de l’homme avec cette immense bête ; mais est-ce bien un duel, lorsqu’on sait toujours qui doit succomber ? J’avoue que le matador arrivant avec son brillant costume dessinant ses formes, après avoir fait ses trois saluts d’un caractère si particulier (il tord trois fois son bras haut et droit devant lui), calme, froid, venant se placer tout près devant l’animal, avec ce manteau et cette épée… et tenez c’cst presque la meilleure partie du jeu, il ne s’y verse presque pas de sang. Oui, je le dis, cela a un caractère étonnant. Bref, les Espagnols eux-mêmes n’aiment pas la partie des chevaux. Alors je suis réconciliée avec ce sauvage plaisir ? Je ne dis pas cela, mais il y a là un côté très beau, presque grand : ce cirque, ces quatorze ou quinze mille spectateurs ; on a là comme une vision de l’antiquité que j’aime tant. Et puis, alors, le côté sanglant, horrible, ignoble… Si les hommes étaient moins adroits, s’ils avaient plus souvent quelques bonnes blessures je ne crierais pas, mais c’est celte lâchetė humaine qui me révolte. Pourtant on dit qu’il faut un courage de lion… Eh bien, non, ils sont trop adroits et évitent trop sårement les attaques lterribles, mais naïves, prévues et provoquées de la c’est

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