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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

d’une liberté charmante ; la cour ressemble à un marché, les portes n’ont pas l’air de bien fermer et enfin ce bagne ne ressemble pas du tout aux descriptions des maisons centrales de France. Mon pauvre diable de forçat a très bien posé toute la journée ; mais comme j’ai fait la tête grandeur nature et ébauché les mains en un jour (sublime génie !), je n’ai pas rendu aussi exactement que d’habitude le caractère étonnamment louche de l’individu. Et j’ai tort d’en accuser le manque de temps, car si je ne suis pas plus satisfaite, cela tient à la lumière, qui a changé plusieurs fois, et aussi à ces bons forçats dont j’avais tout le temps une douzaine derrière le dos ; ils se relayaient, mais j’en avais toujours, et c’est agaçant de sentir des yeux derrière soi. L’excellent sous-chef, dans le cabinet duquel je travaillais, avait mis des chaises derrière moi comme au spectacle, pour ses amis qui se sont succédé là pendant toute la journée. Et à chaque instant on frappait à la porte ; c’était des prisonniers, les pas méchants,

entrer et entraient. L’interprėte et Rosalie sont restés là tout le temps, et j’ai appris ainsi qu’un homme qui a assassiné sa femme va être étranglé publiquement la semaine prochaine. Puis il y a un prisonnier enfermé pour n’avoir pas voulu saluer la procession, et d’autres choses étonnantes. Avez-vous remarqué que lorsqu’on dit, comme moi toutàl’heure, et d’autres choses étonnantes, ou bien j’en passe et des meilleurs, ou encore et ce que je dis là n’est rien auprès du reste, c’est toujours qu’on ne passe rien, pas même ce qu’il y a de pis ; qu’on a dit ce qu’il y avait de plus fort, et qu’il n’y a plus rien à dire, du reste, mais qu’on veut renchérir sur la vérité. Très souvent, en parlant d’une personne, on cite ce qu’elle a fait de pis en disaut : Voici quelque chose qui lui est les caporaux, qui demandaient à M. B. — I.

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