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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

mois et demi je n’aurai jamais le temps ; quelle malchance et comme, quand on est né malheureux, il n’y a pas à lutter ! Voyez-moi ; la peinture semblait un refuge, et voilà que je suis parfois presque sourde ; d’où, gêne affreuse avec les modèles, angoisses perpétuelles et impossibilité de faire dės portraits à moins d’avouer, et je n’ai pas encore ce courage. Puis, avec cette maladie, impossibilité de travailler et obligation de rester enfermée un mois. Mais c’est par trop triste ! Diña ne me quitte pas ; elle est si gentille ! Paul et sa femme sont arivés hier. Les Gavini et Géry sont venus, Bojidar, Alexis. Et moi, toujours en train et me tirant des mauvais pas à force’de courage et de blagues….

Les médecins sont le sujet des plaisanteries à présent. Potain, ne pouvant toujours être là, m’envoie un docteur qui viendra tous les jours. Et ça m’amuse ; car je joue la folle et je profite de cet état pour débiter des insanités. Mercredi 30 novembre. Julian est venu hier au soir ; il me croit bien malade, je l’ai bien vu à sa gaité un peu affectée ; quant à moi, je suis dans une affliction profonde. Je ne fais rien, et mon tableau ! Mais surtout ne rien faire ! Comprenez-vous ce désespoir ? rester là et les bras ballants, pendant que les autres travaillent, font des progrès, préparent leurs tableaux ! Je croyais que Dieu m’avait laissé la peinture et je m’y étais enfermée comme dans un suprême refuge. Et voilà qu’elle me manque, et je ne puis que m’abimer les yeux à force de larmes Jeudi fer décembre — Vendredi 2 décembre. 2 décembre déjà, je devrais être à l’ouvrage, chercher des