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JOURNAL

ou sur les bancs publics, ou causant devant les marchands de vins.

Mais il y a là des tableaux admirables ! Tout bonnement admirables ! Loin de moi de viser surtout à la parodie de la vérité, c’est le fait des vulgaires ; mais dans cette vie, dans cette vérité il y a des choses admirables. Le’s plus grands maftres ne sont grands que par la vérité.

Je suis rentrée émerveillée de la rue, oui, et ceux qui se moquent de ce qu’ils appellent le naturalisme ne savent pas ce que c’est, et sont des imbéciles. Il s’agit de saisir la nature sur le fait, de savoir choisir et de la saisir. Le choix fait l’artiste. Mon portrait sera incontestablement banal. Je suis assise dans un grand fauteuil ; en robe de mousseline blanche à moitié décolletée. La pose est assez éveillée, j’ai l’air de causer, je suis de face. C’est très ordinaire. Je

reviens à la rue… On pourrait exploiter la mine. Je ne voudrais pas toucher à la campagne ; BastienLepage y règne en souverain ; mais pour la rue, il n’y a pas encore eu de… Bastien. Et dans notre jardin on peut peindre presque tout. J’ai la tête un peu troublée par Mardi 8 août.

les Rois en exil de Daudet ; je l’avais déjà lu, mais ça se recommence. Il y a là de si ravissantes pages, une finesse d’analyse, une netteté d’expression qui me ravit, des choses qui font pleurer. Des choses de sentiment… Ce

n’est pas une vie que la mienne ; quand je ne travaille pas, tout m’abandonne ; en peignant je m’imagine tisser mon bonheur ; inactive, tout s’arrête ; la nuit et le silence.